mercredi 15 janvier 2014

L'Astronomie Sans Photons

L'astronomie, depuis la nuit des temps, exploite la lumière, sous la forme de ses grains, les photons, les particules les plus fondamentales de l'Univers.
Et sa déclinaison astrophysique a poussé l'exploitation des photons dans leurs plus lointains retranchements. Depuis que la lumière a été mieux comprise au début du siècle dernier, les astrophysiciens ont appris à regarder la lumière dans son entièreté, l'entièreté de son spectre en longueur d'ondes (ou en énergie, ce qui revient au même à deux constantes fondamentales près).

Spectre en longueur d'onde des photons
Qu'ils observent les photons du fond diffus cosmologique sous forme de micro-ondes de quelques mm de longueur (avec un maximum d'entre eux à 1,063 mm), ou bien les photons des ondes radio de 21 cm caractéristiques de l'émission de l'hydrogène neutre des grands nuages de gaz interstellaires, les photons émis dans l'infra-rouge par la poussière obscurcissant les cocons d'étoiles, ou bien encore les photons ultra-violets produits par les étoiles les plus jeunes, qu'ils parviennent à attraper des rayons X en provenance de trous noirs supermassifs ou bien des rayons gamma de plusieurs centaines de millions d'electron-volts nés dans la violence inimaginable d'explosions stellaires, les astrophysiciens travaillent toujours avec cette même particule, ce boson de masse nulle dont la vitesse est toujours la même, invariablement, et quelle que soit son énergie, le photon, qui doit son nom, ironie de l'histoire des sciences, au chimiste américain Gilbert Lewis en 1926 qui fit oublier le quantum de lumière (Lichtquant) cher à Einstein et Planck.

Mais l'astrophysique entre aujourd'hui de plain-pied dans une nouvelle ère, celle où les photons ne sont plus les messagers de l'Univers. 
C'est l'année dernière que pour la première fois furent observés d'autres particules (que des photons) venant du milieu extragalactique, des neutrinos à l'énergie colossale, qui furent mis en évidence par l'expérience IceCube
Signal mesuré des deux neutrinos les plus énergétiques
(Bert et Ernie) par IceCube
(IceCube collab.)
La première détection de neutrinos pouvant être qualifiés d'astrophysiques ne date en fait pas de 2013 puisque les neutrinos du soleil sont observés depuis les années 1970. L'astrophysique sans photons pourrait aussi être remontée à exactement un siècle en arrière, lorsque que Victor Hess montra en 1913 l'existence d'un rayonnement de particules chargées en provenance de l'espace au-delà de l'atmosphère.

Aujourd'hui, l'astrophysique sans photons, avec l'exploitation du signal que nous donnent les neutrinos de très haute énergie, vit comme une véritable seconde naissance. Car un autre signal astrophysique très différent des photons et des neutrinos, bien que ce déplaçant à la même vitesse (soit légèrement plus vite que les neutrinos), commence à pouvoir être effectivement exploité, et ce en association étroite avec les neutrinos ultra énergétiques (mais sans les photons). Il s'agit des ondes gravitationnelles. 

Ondes gravitationnelles produites
par un système binaire coalescent
Les ondes gravitationnelles potentiellement détectables sur Terre sont théoriquement produites par des processus astrophysiques très violents, de type coalescence entre deux étoiles à neutron, entre deux trous noirs ou entre une étoile à neutron et un trou noir. Ces ondulations de l'espace-temps sont produites principalement dans ces situations de coalescence d'objets ultra-denses, et se trouvent accompagnées dans les phénomènes physiques impliqués par de fortes émissions de neutrinos.

Sachant cela, les astrophysiciens et physiciens des particules ont eu l'idée d'utiliser les deux signaux en même temps pour scruter le ciel avec de nouveaux yeux.

Dans un article qui sera publié prochainement dans Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A, Irene Di Palma, chercheuse au Max-Planck-Institut für Gravitationsphysik à Hanovre, décrit pour la première fois ce type de mesure conjointe qui utilise le signal neutrinos de l'expérience ANTARES (détecteur situé sous l'eau en Méditerranée) et le signal d'ondes gravitationnelles (OG) fourni par les deux grands détecteurs de d'OG que sont l'américain LIGO et l'européen VIRGO.
L'interféromètre VIRGO vu d'avion (CNRS)

En combinant ces deux messagers cosmiques et non-photoniques, la multi-collaboration obtient des résultats astrophysiques sous forme de limites et d'exclusions sur l'origine des neutrinos ultra-énergétiques détectés par ANTARES : leur conclusion est qu'ils ne peuvent pas provenir de couples étoiles à neutron-trou noir qui seraient situés à moins de 16 millions d'années-lumières ni de couples de trous noirs qui seraient situés à moins de 33 millions d'années-lumières.

Ces premiers résultats ont bien sûr un caractère un peu imprécis, c'est normal pour une première, mais ils ouvrent la voie désormais à une vraie astrophysique des événements les plus violents et rares de l'Univers en se passant complètement des photons*.

Les données de IceCube, plus nombreuses et précises vont maintenant être à leur tout exploitées en association avec LIGO et VIRGO, pour des résultats toujours améliorés.


* Ironie du sort, les neutrinos sont détectés par ANTARES et IceCube grâce aux photons qui sont produits par les particules chargées issues des réactions des neutrinos dans l'eau...


Référence :

Multimessenger astrophysics : When gravitational waves meet high energy neutrinos
Irene Di Palma, the ANTARES Collaboration, the LIGO Scientific Collaboration and the Virgo Collaboration
à paraître dans Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A

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